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En défense des sciences sociales à l’Université comme au Lycée

Nous partageons l’inquiétude manifestée par l’Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales (Apses) autour de la refonte des programmes de SES. En effet, le ministère de l’éducation nationale a chargé un groupe d’experts pour élaborer les futurs programmes, laissant planer un doute sur l’avenir de l’enseignement des sciences sociales au Lycée, et sur la pluralité des approches économiques enseignées et au recul nécessaires à ces dernières. Si l’objet de cette refonte concerne l’enseignement au lycée, les SES constituent un principal point d’accès aux élèves ouvrant sur les Sciences Humaines et Sociales à l’Université : histoire, philosophie, psychologie, sociologie, anthropologie…Un article de médiapart [1] a révélé, la composition de la commission.

Pas d’économie sans social !

Philippe Aghion a été nommé président du groupe d’experts. Celui-ci est connu pour avoir participé à l’élaboration du programme économique du président Emmanuel Macron. Ce choix, va à l’encontre d’une idée selon laquelle le contenu des programmes doit être indépendant du pouvoir politique (ou du moins s’efforcer à l’être). Mr Aghion a partagé à de nombreuses reprises sa vision mettant en avant des prérequis sur les sciences économiques comme fondement de l’enseignement des SES au détriment des autres disciplines tels que la sociologie et les sciences politiques [2]. Ce primat des sciences économiques sur les sciences sociales et politiques laisse songeur.

Une sociologie “compassionnelle” ?

Parmi les autres membres de la commission nous comptons : Pierre-André Chiappori et Georges de Ménil. Ils représentent l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP). Le 21 mars 2017, l’ASMP avait publié un rapport estimant que l’Enseignement actuel des SES était “néfaste”, mettant en avant des arguments désarçonnants d’une sociologie “compassionnelle”. Le rapport préconisait alors de recentrer l’enseignement sur la micro-économie prétextant que ce savoir est “plus fondé scientifiquement”, “et où un large consensus est plus facile à réaliser”.[3]

La sous-représentation d’acteurs des sciences sociales

Le groupe contient alors 14 membres parmis lesquels seuls 3 sociologues participeraient. Nous comptons également trois inspecteurs et trois enseignants dont nous ignorons pour l’instant les noms. Le reste est davantage connu comme étant davantage issus des milieux de l’entreprise que des milieux universitaires, les voici : Denis Kessler (ex-numéro 2 du MEDEF), Bertrand Collomb (ex-patron de Lafarge), Yvon Gattaz (ancien président du MEDEF), Michel Pébereau (ex-président de BNP Paribas et ex-président de l’Institut de l’Entreprise), Georges de Ménil (héritier de la multinationale du pétrole Schlumberger et présentateur du rapport cité plus haut).

Vision univoque de l’économie, haro sur les sciences sociales

Seuls issus de la sphère universitaire, nous trouvons Jérôme Gautier, professeur au Centre d’économie de la Sorbonne et Jean Tirol, prix Nobel d’Economie. Jean Tirol avait pris position contre la constitution d’une nouvelle section d’économie dans les universités intitulée “Institutions, économie, territoire et société” accordant plus de place aux sciences humaines. Cette idée avait été défendue en 2015 par l’Association française d’économie politique (Afep) défendant la pluralité des approches en économie. Mr Tirol avait alors écrit à la Ministre de l'Enseignement supérieur de l’époque Geneviève Fioraso en défendant une science économique indépendante des sciences sociales agitant l'épouvantail d’un “relativisme des connaissances”. [4]

La composition du groupe chargé de la refonte des programmes en SES pose question : outre la sous-représentation des sciences sociales, c’est le consensus autour d’une vision micro-économique appliquée à tous les aspects de la vie qui étonne en plus de la vision orthodoxe de l’économie. La présidence du groupe laisse peu de doutes aux préconisations. Enfin, le choix des personnalités, comme des ex-PDG de grandes entreprises pose la question légitime d’un éventuel conflit d’intérêt visant à perpétuer et légitimer la continuation d’un modèle économique en sapant toutes les fondements critiques liés aux impacts sociaux, économiques et environnementaux liés à ceux-ci.

Affaire à suivre...

La disparition des sciences de gestions en vigueur en seconde fait présager auprès de l’Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales une refonte de l’enseignement de SES réunissant à la fois les sciences de gestion, le droit et la comptabilité au détriment de la sociologie [5]. Le programme serait amputé des sciences politiques en première et terminale. Par ailleurs, la volonté de réduire les heures d’enseignement des SES en seconde à 1h30 par semaine ne va pas dans le sens d’une amélioration de la prise en considération de la discipline.

Défendre les sciences sociales…

Nous souhaiterions rappeler que les différentes disciplines formant les sciences sociales, sont mobilisés par de nombreux acteurs dans notre société au niveau national et local. Employés par des collectivités locales, des associations, des syndicats et des entreprises. Ces disciplines traversent différents corps professionnels : de l’histoire, du patrimoine, de l’écologie, de l’économie politique, du journalisme, de la culture, de la santé, de l’éducation. Elles peuvent être utilisées par tout un chacun pour peu que ses démarches soient assimilées. 

 

Ces disciplines aux travers leurs itérations au cours du siècle dernier ont questionné réorienté leurs épistémologies et leurs méthodologies. Elles déployent des approches du social fondées de sur nombreuses pratiques d’observations, d’expérimentations, d’entretiens,  de recherches documentaires. En continuel mouvement, elles mettent au loin des discours figés, essentialistes, ethnocentriques, racialistes, genrés du social. Elles remettent en perspective les relations et partitions des cultures, des espaces, des savoirs, des outils, des individus, des groupes, des organisations et des institutions à leurs environnements.

 

Nous revendiquons ces savoirs comme autant de prises supplémentaires pour les acteurs à saisir et questionner la partition de leur environnement. Nous revendiquons un savoir qui ne prescrit pas, ne proscrit pas. Nous revendiquons un savoir qui s’éloigne des injonctions tautologiques : efficacité, productivité, compétitivité. Au final, nous défendons un savoir qui ne fournit pas un îlot de certitude sur le monde mais ouvre les angles, questionne; fait apparaître sous un autre jour et resitue la connaissance et les modes de justification là où ils sont.

Et nous là-dedans ?

Nous sommes une association étudiante apartisane. Cependant l’objet de notre association étant les sciences sociales (comme son nom l’indique ! ), nous défendons l’enseignement et la promotion des Sciences Sociales par delà des murs de l’Université, par une vision plurielle et interdisciplinaire comme un élément essentiel à la constitution d’une culture critique, réflexive et démocratique.

Sources :

[1] Laurent Mauduit “La commission pour réformer l’enseignement des SES fait la part belle à l’économie néolibérale”, Médiapart, 13 avril 2018

https://www.mediapart.fr/journal/france/130418/la-commission-pour-reformer-l-enseignement-des-ses-fait-la-part-belle-l-economie-neoliberale

[2] ibid.

[3] Fabien Soyez, “Macro ou micro-économie ? L’ASMP et l’APSES s’affrontent sur les SES”, VousNousIls, 27 mars 2017, URL : http://www.vousnousils.fr/2017/03/27/lacademie-des-sciences-morales-et-politiques-et-lapses-saffrontent-au-sujet-des-ses-601704

[4] Frantz Durupt, “Bataille d'influence chez les économistes français”, Libération, 2 février 2015, URL :

http://www.liberation.fr/societe/2015/02/02/bataille-d-influence-chez-les-economistes-francais_1193967

[5] François Jarraud, “Les professeurs de SES dans la rue pour défendre leur discipline”, Le Café Pédagogique, 12 avril 2018

URL : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/04/12042018Article636591138234607025.aspx

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